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Au nom de tous mes frères

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Maria Reyes est journaliste et animatrice à Radio Libertaire pour le programme “Tribuna latinoamericana”

Tribuna Latinoamericana – Radio Libertaire : Samuel Laurent Xu (Projet “Au nom de tous mes frères”) 

“Au nom de tous mes frères”, ou comment sauver une femme (parmi d’autres) de l’oubli

Il existe de nombreuses façons de célébrer la Journée Internationale des Droits des Femmes, l’une d’entre elles étant de réfléchir à celles qui ont ouvert la voie pour nous et continuent de nous inspirer à travers les âges.

“Au nom de tous mes frères” est l’œuvre ingénieuse de Samuel Laurent Xu qui met en scène la vie d’une religieuse ouvrière, Nadine Loubet, plus connue sous le nom de Sœur Odile, qui a œuvré pour améliorer les conditions de vie des habitants de la Zone Ouest de Santiago du Chili, dans les années 1970 et 1980.


L’histoire des carnets d’Odile

Tout d’abord, “Au nom de tous mes frères” se base sur les “carnets d’Odile” qui dépeignent, sous forme de témoignage, les expériences et les émotions de sa protagoniste de 73 à 75, ce qui correspond au début de la dictature sanglante de Pinochet.

Ce projet est né sur les bancs de l’USACH (Université de Santiago du Chili) où Samuel étudiait pendant une année d’échange, lorsque l’historien Esteban Miranda Chávez lui a prêté les carnets.

Samuel, ému par la lecture de ces derniers, décide d’initier une recherche sur ce sujet, et de porter à l’écran l’histoire de cette femme.

Photo du tournage

“Au nom de tous mes frères”

Le documentaire est basé sur les écrits d’Odile et les témoignages des femmes qui l’ont connue. Des séquences d’archives alternent avec les images des carnets rédigés par la Sœur Française.

L’arrivée d’Odile au Chili et sa rencontre avec les habitants se situent dans l’un des moments les plus féconds de l’histoire chilienne : on envisage de nouvelles façons de penser l’avenir, grâce au triomphe de la révolution cubaine, mais aussi de nouvelles façons de penser le présent : dans les secteurs les plus humbles, les habitants s’organisent et réalisent une série d’initiatives populaires ; le « Comprando juntos » (achat communautaire), le « Construyendo juntos » (système d’entraide pour bâtir à moindre coût), les soupes populaires, les équipes de soin.

Le propos de Sœur Odile est clair : “Ce que je vais vous dire, c’est ce que nous avons vécu”. Lorsque la dictature a éclaté au Chili, elle a été confrontée à un dilemme : retourner avec sa congrégation en Argentine, ou rester aux côtés des habitants des quartiers humbles, avec lesquels elle avait tissé des liens étroits.

Manifestation dans les années 70. À droite soeur Odile.

Sœur Odile décrit les atrocités du régime comme tant d’autres l’ont fait, mais ce qui est particulier, c’est qu’elle ne manque pas d’interroger l’être humain dans sa condition. À travers ses questions, on apprécie l’empathie de celle qui prend une position dangereuse : elle se place du côté de ceux qui souffrent, sans craindre d’être persécutée pour cela. Elle a assisté à la découverte des premiers corps méconnaissables des opposants dans le fleuve Mapocho, qui traverse la ville de Santiago, et leur a offert un enterrement digne.

La position d’Odile, en somme, est assez révolutionnaire pour l’époque : consciente des injustices qui l’entourent, elle retrousse ses manches pour participer à la construction du « Royaume de Dieu ». Plutôt que d’accepter une future salvation et de se contenter de prières et d’espoirs d’un monde meilleur, elle met toute son énergie au service de la communauté, afin de réaliser un projet de société où règnent la dignité et la justice. Dans cette optique, elle intègre la résistance et décide d’agir jour après jour pour défendre la vie contre le régime de mort de Pinochet.

Les enseignements de Sœur Odile

Il est paradoxal de penser qu’au Chili et dans le reste de la région, qui s’est toujours distinguée par son caractère très croyant, et où l’Église allait de pair avec les régimes militaires et les élites, des voix se sont élevées pour s’opposer à ces régimes. La “théologie de la libération”, composée de cette minorité de prêtres et de religieuses ouvriers qui ont choisi de suivre leurs propres convictions contre l’ordre établi, malgré le risque d’être tués, comme certains d’entre eux l’ont été, s’impose comme de véritables figures de résistance dans l’histoire contemporaine. 

Enfin, et c’est peut-être la leçon la plus précieuse, le film de Samuel Laurent Xu n’est peut-être que le début d’un questionnement plus profond. Nous avons encore beaucoup à apprendre de Sœur Odile et d’autres religieuses, de leur héritage au sein des sociétés actuelles, des organisations populaires, qui sont à la base d’une réflexion sur un autre modèle de société que connaît le Chili, avec l’élection d’un ancien leader étudiant à la présidence, et la rédaction de la Magna Carta qui vient prendre en compte des décennies d’injustices dans le pays. 

Grâce au travail de Samuel, qui poursuivra ses recherches dans un projet d’écriture en collaboration avec Gaspard Thiery Marcacci, nous mettons en lumière le parcours  d’une héroïne méconnue en ce jour singulier. 

Merci à toi, Odile, pour ton sacrifice pendant ta vie au nom de tous tes frères et sœurs, et pour ton exemplarité sur ce grand chemin que nous appelons la vie.

  • L’émission “Tribuna Latinoamericana” invitera Samuel Laurent Xu et Gaspard Thiery Marcacci le 19 mars, de 19h à 20h, pour parler du film “Au nom de tous mes frères” et du nouveau projet sur lequel ils travaillent.
  • Pour contacter le réalisateur du film pour une future projection ou toute autre demande, envoyez un courriel à :   aunomdetousmesfreres@gmail.com

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